Las ! Il est heureux d’en voir la fin. Fouillant sa mémoire, il recherche –en vain, un seul
instant où il a été heureux. Des millions de siècles ajoutés à d’autres millions de siècles…
C’est si long… et ce n’est même pas l’éternité. Ahasvérus (1) a-t-il vécu si longtemps ?
Il ne l’a jamais rencontré, le monde est si vaste, peut-être que l’Autre lui a pardonné ?
La douceur de la mort, le repos, ce repos tant attendu, tant rêvé, du fond des limbes où il passe
le plus clair de son temps… il sait, il sent que l’instant est bientôt venu. A perte de vue, du
sable, de la poussière, il se souvient qu’il y avait des villes et de la vie là-bas, plus rien
depuis longtemps, trop longtemps. Il se baisse et perçoit plutôt qu’il ne sent ses articulations
se déchirer, il donnerait n’importe quoi pour ressentir une quelconque souffrance. Entre ses
doigts squelettiques s’écoule une substance fine, déchiquetée, broyée, encore et encore par le
vent et la pluie, mais le vent et l’eau ne sont que des souvenirs infiniment lointains.