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Le Cèdre et la Reine

René Menu (Auteur)

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8 juin 1984, troisième visite d’état de la reine Elizabeth II d’Angleterre à la France à l’occasion des cérémonies de commémoration du quarantième anniversaire du débarquement. Ronald Reagan est aussi présent.
A 6 heures du matin ce 8 juin 1984 Roger se prélasse dans son lit. La fenêtre est ouverte, il fait beau et les merles chantent à tue-tête.
Roger sait depuis quelques jours que le cortège de la reine va passer sous ses fenêtres pour se rendre sur les lieux des cérémonies.
Il lui vient alors plein de trucs dans la tête à Roger :
« La reine va passer devant chez moi. Et si elle s’arrêtait pour se faire payer le café ? Mais non idiot la reine ne boit pas de café mais du thé ! Je suis pas dans la merde moi car j’sais pas faire ce truc et puis c’est que du jus de chaussettes ça le thé. Pouah ! »
« Si elle s’arrête faudra lui faire la bise ? P’tain non car là c’est l’incident diplomatique garanti ! Lui serrer la paluche alors ? Pas mieux ! Lui faire une courbette ? Ça ne craint pas car les courbettes ce n’est pas le genre de la maison. Une tape sur l’épaule, comment ça va Elizabeth, le voyage c’est bien passé ? ».
Il se marre Roger en songeant qu’il commence à déconner sec de bonne heure ce matin.
Il s’étire, baille et, toujours couché, du pied, pousse un battant de fenêtre pour pouvoir passer. Roger vit seul dans une coquette maisonnette. Sa chambre n’est pas grande. Avant de sortir du lit Roger s’offrira encore un petit délire mental :
« Savoir si la reine agit de la sorte pour se lever dans sa petite maison de Buckingham Palace ? »
Roger rit en s’imaginant la reine d’Angleterre qui, du pied, ouvre le battant de sa fenêtre de chambre.
« Mais non la dame dort certainement avec la fenêtre fermée car il fait toujours mauvais au pays des Rosbifs ! »
« C’est pas tout ça mais faudrait arrêter de déconner car il y a du taf en perspective ce matin, et ce n’est pas la reine qui va le faire ! »
Roger s’arrête juste avant qu’il reparte dans ses délires matinaux.
« Une reine qui conduirait une brouette de purin dans le jardin ? »
« Bon d’accord ça suffira pour aujourd’hui ! »
Roger énumère son programme. Nourrir les lapins, désherber l’allée, arroser le potager, aller chercher le pain, le journal, son paquet de gris et les feuilles de job. Un vrai travail pour un retraité des postes.
Roger est un veuf sans enfant de 89 balais. IL dit qu’il est bien tranquille car tous ses copains n’ont que des problèmes avec leur bonne femme et leurs gosses. Ces machins-là, même âgés, ça n’a pas son pareil pour vous compliquer l’existence. Comme il est heureux Roger. Aujourd’hui ce n’est plus lui qui distribue le courrier. Chacun son tour songe-t-il. Il a donné Roger. Il est en excellente santé Roger, c’est un robuste qui est revenu indemne de la grande guerre, la der des der. Né en 1895 il avait 19 ans lorsque les hostilités ont commencé. Il a eu la baraka comme il dit, pas une écorchure, même pas un rhume, il n’a jamais compris comment cela a été possible. Il n’aimait pas parler de l’enfer qu’il a connu. Il a toujours eu honte d’en être revenu entier, et pourtant il n’a pas été un planqué. Il est souvent sorti des tranchées lors des assauts et a vu tomber un paquet de ses copains. Il a entendu siffler les balles passées au raz de ses oreilles, mais rien, entier, comme neuf, du pas possible et pourtant c’est comme ça.
Entré dans la grande administration des postes il a effectué des milliers de kilomètres à pieds au cours de ses tournées dans la campagne environnante. Doit-il sa bonne santé à cette activité ? C’est ce que son toubib lui répète toujours. Les docteurs n’étant pas les derniers des couillons il doit y avoir du vrai la dessous. Roger était apprécié comme facteur. Il ne refusait pas le petit canon qu’on lui proposait mais jamais trop, juste ce qu’il fallait. Par contre le tabac, il dit en avoir fumé des tombereaux. Dans les tranchées il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire.
A 14 heures, comme tout le monde, Roger est sorti devant chez lui pour regarder passer le cortège officiel. Des flics de partout, en voitures ou en motos. De belles autos rutilantes avec de jolies dames à l’intérieur et des messieurs très fiers d’être là. On cherche le président, celui de la France, celui de la retraite à 60 ans, de la semaine de 35 heures, de la cinquième semaine de congés payés et de la mise au rencart de la machine à raccourcir les têtes. On cherche le cow-boy américain, ancien acteur de séries B, aujourd’hui président des états unis. On cherche une couronne aussi. A cet instant une énorme limousine s’arrête à 20 mètres de Roger. Roger fronce les sourcils, son cœur s’emballe un peu, il ne peut s’empêcher de songer aux conneries auxquelles il a pensé ce matin. Va-t-il devoir offrir le café à une tête couronnée ? Lorsque la portière de la belle bagnole est ouverte par un larbin de service Roger croit bien qu’il va faire un « infractus » comme dit le bon peuple.
Ce n’est pas dieu possible, et pourtant Roger n’est pas croyant. Une dame souriante portant un chapeau bizarre et tenant un appareil photo à la main s’approche de la clôture de Roger. Elle s’arrête et immortalise le superbe cèdre situé au sommet du coteau derrière la maison de Roger. Clic clac et l’arbre est dans la boite. Roger entend très distinctement la reine murmurer :
 Oh my god, what a beautiful tree !*
Elizabeth est remontée dans sa voiture puis est passée devant les badauds en faisant un petit signe de la main auquel Roger a répondu par le même geste. Ce matin Roger n’avait pas songé faire un petit coucou à la reine. Il se marre, il pense à la bise, à la poignée de mains et tout le tintouin.
Roger se pince, il ne rêve pas. A quelques mètres de lui, devant chez lui, la reine d’Angleterre a fait des photos de son bel arbre.
Remonte alors en lui le souvenir précis de l’histoire de son arbre. C’était en 1910 le jour de ses 15 ans.
Son père lui avait commandé de nettoyer son atelier et de faire du rangement. Une vache n’y aurait pas retrouvé son veau, il n’y avait plus moyen de s’y tourner tant il était encombré. L’atelier était une cabane dans laquelle le père faisait de la bricole et plus précisément de la réparation de serrures. Devenu garde champêtre de la commune, son père n’avait pas perdu l’amour de son premier métier. On venait de tout le canton pour lui commander des clefs ou pour, « décoincer cette saleté de non de dieu de serrure qui faisait des siennes ! ».
Roger avait obtempéré non sans traîner des pieds, mais il savait qu’il ne fallait pas contrarier le père qui n’avait pas bon caractère. Un vrai caractère de garde champêtre, un bougon le bonhomme. Roger se souvient des moqueries à l’école communale :
 Ton père c’est le garde champêtre qui pue qui pète, qui prend son cul pour une trompette ! Pas excessivement fine la plaisanterie mais que faire, il fallait supporter et puis c’est tout.
Ce n’était pas plus terrible que les quolibets adressés au fils du chef de gare :
 Il est cocu le chef de gare, il est cocu le chef de gare ! Ou :
 Sur le quai de la gare, dans le brouillard, un inconnu soufflait dans le cul du chef de gare !
Roger s’était mis à la tâche, il avait rempli une pleine brouette de cochonneries qui n’auraient pas dû se trouver là. Alors qu’il débarrassait des étagères de quantités de boites rouillées et pleines de choses inutiles, il en avait saisi une qui paraissait bien légère, était-elle vide ? Il l’avait secouée et avait entendu un petit bruit de quelque chose de très léger apparemment. Ayant ouvert le couvercle, il avait découvert un petit truc tout rond, minuscule, de la grosseur d’une lentille. Après l’avoir fait rouler dans la paume de sa main il en avait déduit que ce pouvait bien être une graine. Une graine de quoi ? Mystère. Il l’avait glissée dans la poche de sa chemise et avait totalement oublié son existence.
Ce n’est que plus tard dans l’après-midi, alors qu’il était allé donner à boire aux quelques moutons que son père élevait pour arrondir ses fins de mois de garde champêtre, qu’il s’était souvenu de sa découverte.
Alors rien que pour voir, « si des fois cela voulait faire ! », Roger avait planté la graine tout en haut du pré, juste au-dessus de la maison.
Roger avait oublié son geste jusqu’au jour où son père avait fait part de sa découverte tout en haut du clos. Une pousse de cèdre avait choisi sa propriété pour y grandir. Pas très gros l’arbre, une dizaine de centimètres de hauteur, bien formé et prometteur. Le garde champêtre n’avait pas voulu l’arracher et il avait dissuadé Roger de le faire. Roger n’a jamais révélé à son père comment ce cèdre était arrivé en haut de son pré. Cela aurait été trop compliqué à expliquer et puis l’aurait-il cru ?
Roger se confiait plus volontiers à sa mère qui était une femme douce, souriante, patiente. Pour beaucoup de gens du village il était totalement incompréhensible qu’une femme comme elle ait pu épouser un con de garde champêtre.
Roger n’avait jamais dit à quiconque que c’était lui qui avait planté ce beau cèdre que tout le monde admirait. Il était connu cet arbre, on ne voyait que lui depuis le village. Ce géant faisait tourner toutes les têtes dans sa direction.
Roger se souvenait qu’un jour, dans une petite boite rouillée sur une étagère, il avait trouvé une petite graine inconnue et l’avait plantée.
Roger avait vu une reine, et pas n’importe laquelle, s’arrêter devant sa propriété pour photographier son arbre.
Quelques petits clics pour le remettre en boite, mais pas dans n’importe quelle boite.
Désormais le cèdre aura un écrin royal.
Grâce à son arbre, La reine Elizabeth lui avait adressé un petit coucou de la main. Rien que pour lui.
* oh mon dieu, quel bel arbre !

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Biographie de René Menu

Retraité SNCF, marié, deux enfants et deux petits enfants. Au terme de ma carrière professionnelle( conducteur de trains) et de la pratique intensive du vélo, c’est désormais par l’esprit que j’effectue voyages et déplacements. La nostalgie d’une époque révolue, celle des années soixante, et un intérêt pour des temps plus anciens me poussent à rêver d’histoires qui me tiennent à cœur.

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2 discussions

  • 20 août 2020, par Beaufreton Jean-Patrick

    Bel ensemble, avec une petite quinzaine de fautes... de frappe !
    Le fond et la forme sont en bonne cohérence, même si on a le sentiment que le personnage haut en couleurs cherche à se justifier : ce sont les évènements qui rappellent son histoire. J’aurais préféré le voir mener la barque, dans le genre : il se raconte gamin, soldat, adulte, puis retraité (je vis la vie que je veux) ; arrive le 8 juin (malgré les officialités, je garde mon existence routinière) ; le cortège arrive et la reine s’arrête, intriguée par l’arbre ;..
    Conclusion : même les grands de ce monde interrompent les cérémonies pour mon cèdre !
    Bravo

    • ^ 22 août 2020, par René Menu

       Etre lu par le " Maupassant moderne " aurait dû être un honneur pour moi, mais l’avis posté par le " formateur en expression écrite et orale " qui débute par le décompte de quinze fautes… de frappe est blessant. Quant à la suggestion de réécriture, style : " j’aurais préféré le voir mener sa barque, dans le genre : il se raconte gamin, soldat .. " alors là j’hallucine..
      - Votre commentaire est celui des instituteurs d’autrefois, très pointilleux sur l’orthographe, les règles grammaticales et le style de rédaction.. il ne manque que la note en marge du " devoir ".
      - Votre appréciation pourrait reléguer ma nouvelle en rubrique " histoires recalées ".
      - A soixante neuf ans, je n’ai plus l’âge d’un écolier et je vous signale que je ne suis pas membre de " La Fabrique d’Histoires " que vous animez..
      - Ce que vous pouvez prendre pour une susceptibilité exacerbée n’est que l’expression d’un homme libre et désireux de le rester..

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