Thème :
Essai - Politique - Scolaire - Education
La quatrième de couverture
Le roman Numismate nous plonge dans un récit intime et foisonnant, où l’histoire personnelle du narrateur se tisse inextricablement avec l’histoire tumultueuse de la Tunisie. À travers une série de micro-récits, l’œuvre déploie une fresque familiale et nationale, explorant les thèmes de l’identité, de l’exil, de l’héritage et de la quête de sens.
Le narrateur, dont le voyage physique de la Tunisie vers la France (via l’Italie) sert de fil conducteur, est avant tout un voyageur de la mémoire. Tel un numismate, il collectionne et déchiffre les "pièces" de son existence – souvenirs d’enfance, figures marquantes de sa famille, événements historiques – pour en révéler la valeur cachée et la signification profonde.
Au cœur du récit, la famille du narrateur est un microcosme des tensions et des évolutions du pays. On découvre un grand-père, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance, dont le courage et la sagesse sont une "monnaie" précieuse transmise au narrateur via le Coran et une canne à la tête de lion. La grand-mère incarne une transformation inattendue, passant de gestionnaire de la réputation familiale à une passionnée de littérature, acquérant une nouvelle "patine" de jeunesse et de sagesse.
Le père du narrateur, humble et ancré dans le présent, symbolise une forme de résilience et de contentement malgré les épreuves. Son refus de réclamer l’héritage matériel de la maison ancestrale – une "pièce maîtresse" chargée d’histoire – illustre une sagesse qui valorise le vécu et la mémoire par-delà la propriété. Ses propres expériences, faites de pérégrinations et de privations, ont forgé sa capacité à savourer l’instant, transmettant au narrateur une forme d’assouvissement comme le plus grand des trésors.
Le roman explore également la complexité des relations fraternelles et familiales. Oncle Ti, figure charismatique et pragmatique, médiateur entre les sphères politique et économique, représente l’espoir d’une démocratie naissante. Sa légèreté et sa capacité à naviguer les obstacles avec indifférence irritent ses proches, mais fascinent le narrateur. Sa fille, Fi, élevée dans l’admiration, incarne une liberté affirmée et une force intérieure, contrastant avec la timidité initiale du narrateur qui apprendra, sous l’impulsion paternelle et par l’observation des autres, à sortir de l’ombre pour conquérir sa place. Oncle Di, travailleur acharné et ancré dans la terre, est confronté à la paresse de ses fils Ki et Ni, "pièces" à contre-courant, mais dont la simple présence est suffisante pour leurs parents.
Le narrateur lui-même est au centre d’un apprentissage initiatique. De sa découverte de la musique sous le piano, à son enfance marquée par la Révolution et ses divisions (ennemis ou victimes, traîtres ou braves ?), en passant par la figure de la "femme-fée" qui lui libère la voix, chaque rencontre, chaque événement, chaque souvenir est une "pièce" qui enrichit sa "collection" intérieure et affine sa compréhension du monde. L’éducation au partage inculquée par sa mère, ainsi que sa propre décision de faire cohabiter ses fils pour favoriser leur soutien mutuel, sont des reflets de cette quête de liens et d’unité dans un monde fragmenté.
La métaphore du numismate se déploie subtilement tout au long du récit, invitant le lecteur à "déchiffrer" avec le narrateur les marques du passé, les "frappes" de l’histoire sur les individus et la nation. Le roman s’interroge sur la transmission, la mémoire collective et individuelle, et la manière dont les "pièces" du passé, parfois énigmatiques ou endommagées, forgent notre présent et nous donnent des "pieds pour aller au-delà de nous-mêmes, des mains pour attraper nos rêves".
Numismate est un roman d’une grande richesse, naviguant entre légèreté stylistique et profondeur philosophique, offrant une réflexion universelle sur le destin humain à travers le prisme d’une histoire singulière et d’une Tunisie en pleine mutation.
La première page
Perspective introductive pour la critique littéraire du roman Numismate
Dans le sillage des récits de mémoire post-migratoires, Numismate s’inscrit dans un courant littéraire contemporain où l’intime devient une passerelle vers l’universel. À la croisée de l’autofiction, de la chronique poétique et du récit diasporique, ce roman hybride et fragmentaire se distingue par son refus de la narration linéaire au profit d’une composition mosaïque, où chaque fragment fonctionne comme une « pièce » de mémoire, à la fois précieuse, mystérieuse et révélatrice.
Né d’une expérience personnelle douloureuse – celle de l’exil, de la perte, de la dépossession identitaire et sociale – Numismate puise sa force dans la résilience de l’écriture. La genèse du texte semble s’enraciner dans un besoin vital de sauvegarder, de restaurer et de transmettre ce qui aurait pu sombrer dans l’oubli. L’acte d’écrire devient ainsi un acte de résistance contre l’effacement, un geste d’archéologie intime à la recherche de sens, de beauté et de vérité.
Le roman s’inscrit dans une tradition littéraire qui convoque à la fois les œuvres méditatives de Proust ou de Sebald, et les écritures de l’exil et de la mémoire, comme celles d’Andrée Chedid, d’Amin Maalouf ou d’Abdelwahab Meddeb. Il appartient à ce que l’on pourrait appeler un humanisme poétique postmoderne, où le sujet, au lieu de s’imposer dans un récit dominant, se disperse, se cherche, se fragmente, pour mieux se reconstituer.
Nom : SMAT
Prénom : ZIED
Statut : Chercheur
Diplôme : Doctorat en littérature française
Etudes et centres d’intérêt :
Le style de Marcel Proust
Les techniques de l’intertextualité
L’intelligence émotionnelle : théories et pratiques scientifiques et pédagogiques